L’approche Thérapie Brève et Systémique
par Anne-Sophie Jouan Gros – Tokyo
Introduction
L’approche systémique, dit aussi modèle de Palo Alto (1950), développée par l’anthropologue anglais Gregory Bateson, a donné naissance au courant de la thérapie brève (l’Institut Gregory Bateson) élaboré par l’équipe du Mental Research Institute (Gregory Bateson, Milton H.Erickson, Don D. Jackson, Paul Watzlawick, John H.Weakland et Dick Fisch)
Ce modèle, appliqué à la relation d’aide, enrichi des apports de l’hypnose ericksonienne, des neurosciences, des thérapies orientées solution, offre une gamme de moyens d’action thérapeutique éprouvés dans le traitement des problèmes humains, de la souffrance et des troubles psychologiques.
En quoi l’approche brève et systémique diffère-t-elle de la psychologie classique ?
A la différence des approches de type analytique, l’approche thérapeutique dite thérapie brève systémique (qui est généralement classée comme sous ensemble des TCC-Thérapie Comportementale et Cognitive) met l’accent sur l’individu comme partie intégrante d’un contexte de relations (système dans lequel le comportement d’une personne s’explique bien souvent par le comportement d’une autre).L’approche considère qu’une personne qui a des problèmes n’a pas tant besoin d’en connaître la cause que d’apprendre à penser autrement pour interagir différemment avec soi ou avec l’autre. L’originalité du procédé, « dépathologisant », tient au refus d’étiqueter le patient et se focalise sur les conséquences issues du problème. Au lieu de chercher à comprendre le symptôme (pourquoi ?) pour provoquer un changement, le thérapeute s’intéresse au « comment les choses se passent » et provoque un changement pour comprendre le symptôme, notamment en aidant le patient à retirer ce qui bloque le changement attendu.
Cette démarche pragmatique présente l’avantage de ne pas avoir à s’engager dans un travail d’introspection de longue durée, pas toujours compatible avec l’expatriation. Il suffit parfois de peu de séances pour débloquer une situation pourtant bien installée.
Selon le contexte, ce sera plutôt une thérapie ou alors un coaching qui sera recommandé.
Le cas particulier des jeunes enfants
Outre son côté pragmatique, l’approche systémique présente un autre avantage : elle permet de soigner un acteur du système indirectement. Et c’est justement l’idéal pour les jeunes enfants.
Je surprends souvent quand je dis que je reçois rarement un enfant en dessous de 10-11 ans en séance. J’en explique les raisons :
- Nos enfants ont le don de nous faire vivre des émotions les plus diverses et souvent les plus extrêmes : autant en tant que parents et adultes responsables nous avons le devoir d’y prêter attention, autant pour eux il est préférable qu’à leur jeune âge ils n’entendent pas forcément tout ce que leurs parents vivent et ressentent face à leur comportement.
- On constate que les enfants consultent aujourd’hui de plus en plus tôt, et comme disent certains de mes confrères thérapeutes « le lundi orthophoniste, le mardi orthodontiste, le mercredi psy, le jeudi soutien scolaire et le vendredi ils sont pleins de tics nerveux ! ». Avec tout ça, ils ont parfois déjà une étiquette, que je vais même proposer d’essayer de retirer.
- Le fait de faire consulter son enfant jeune peut entrainer le syndrome de « Super Nanny », et déresponsabiliser les parents qui restent de mon point de vue les meilleurs co-thérapeutes. Les adeptes du modèle disent souvent que cette approche est « psychodégradable ». Autrement dit, le thérapeute met tout en œuvre pour que, contrairement à Super Nanny, vous puissiez vivre sans lui le plus rapidement possible.
Je reçois donc rarement les jeunes enfants ou le plus tard possible, souvent je n’ai même pas besoin de les voir, ou parfois je vais attendre le bon moment, avec une nette amélioration dans le traitement de la souffrance pour les recevoir, avec le ou les parents.
C’est donc au travers des personnes clés qui composent le système de vie de l’enfant (ses parents, sa famille, sa maîtresse et d’autres personnes parfois) qu’il est possible d’agir.
Problématiques
- Troubles de l’anxiété
- Voyage en adolescence
- Stress post traumatique
- Troubles alimentaires
- Conflits parental ou familial
- Thérapie de couple et médiation
- Gestion de la séparation (éloignement, divorce, deuil)
- Relations parents-enfants difficiles
- Harcèlement à tout âge
- Mal au travail (épuisement, perte de sens, conflits relationnels)
Le contexte de l’expatriation
Expatriée ayant vécu en Inde, en Chine et à présent installée au Japon, à Tokyo, une question me revient souvent : “Est-ce que l’expatriation fait apparaître des problèmes spécifiques ou est-ce qu’il y a des problématiques propres au pays d’accueil ?” Dans un « système » familial, dans un couple ou au travail, quand un des éléments du système va mal, c’est l’ensemble des acteurs du système qui doit s’adapter à cette souffrance en développant des comportements ou une façon d’être qui peut vite mettre dans l’inconfort.
De nouveaux contextes d’apprentissage
En réalité, les personnes qui consultent viennent rarement pour des problèmes liés aux conditions de vie dans le pays d’expatriation (difficulté de communication due à la langue, vie en mégapole, éloignement de la famille et des amis, etc.) ; elles viennent souvent pour des problèmes soit transportés dans leur valise (pensant parfois les avoir laissés chez elles – hélas, souvent et paradoxalement la distance est un révélateur), soit naissants mais sans lien direct avec l’expatriation : ils pourraient avoir les mêmes en France ou ailleurs.
« Mais qu’en est-il aussi des problèmes dans les couples mixtes ? Et de ceux au travail, dans un pays où les normes au travail sont si différentes de chez nous ? » Ces problèmes, comme la différence de point de vue sur l’éducation des enfants, le poids de la famille ou de la belle-famille dans les décisions du quotidien, la fréquence des adultères, les licenciements, le harcèlement moral, etc., nous les retrouvons partout, avec des similitudes fortes avec d’autres pays d’Asie voire même ailleurs, y compris dans notre pays. Ce que l’on voit bien sûr plus fréquemment qu’en France sont les problématiques d’équilibre du couple et/ou des enfants dans les familles bi ou multi-culturelles, les familles qu’on pourrait qualifier de « serial expat » et les enfants dit de la 3e culture « TCK » (Third Culture Child) dont l’identité se dessine dans la multiplicité des repères culturels autour desquels ils se construisent.
Bien sûr, le déracinement exacerbe parfois certaines de nos fragilités. Il peut rendre difficile la mise en œuvre de nouvelles compétences sollicitées pour nous adapter ou régler les problèmes qui surviennent comme l’ouverture, l’empathie ou plus généralement les qualités de communication, la flexibilité, la gestion du temps et de nos priorités, l’organisation, l’autonomie, la capacité à faire des choix hors influence (notamment de la famille, qui peut peser davantage quand on vit dans son propre pays). Sans compter que nos modèles, nos croyances et nos valeurs sont elles aussi bousculées, challengées et qu’en parallèle, notre réservoir de connaissances se remplit vite, parfois trop vite pour certains.
Vivre expatriée peut parfois apparaître comme un très long processus d’apprentissage, plus ou moins facile. Vivre dans une grande ville d’Asie au côté d’une communauté expat bienveillante et solidaire, avec des moyens de communication et de déplacement multiples, des services médicaux certes chers mais très proches de nos standards occidentaux et avec tant de choses à découvrir dans le pays apparaît comme une réalité positive. Mais quand on va mal, on ne voit plus l’environnement et ses atouts comme des ressources.
La gestion de l’entourage
Lequel d’entre nous n’a pas entendu au moins une fois « Vous partez vivre à…., vous allez adorer, mais alors le retour, je vous dis pas… », « Vos enfants ont quel âge ? 2, 8, 14, oh la galère, surtout pour votre ado vous verrez », « Vous allez arrêter de travailler ? Remplissez vite vos journées sinon c’est la dépression qui vous guette… », « Votre mari va encore plus se déplacer qu’avant ? Hum… » ou « Vous venez seul, sans votre famille ? Oups, je crains le pire pour vous… ».
On peut constater aujourd’hui que ce sont précisément ces commentaires définitifs reçus par l’entourage qui peuvent parfois cimenter l’inéluctabilité de la prédiction. On appelle cela des prophéties auto-réalisatrices. Mais on peut aussi parvenir à anticiper ces mauvaises expériences ou à dépasser celles vécues, on a le droit de vouloir qu’elles ne nous empêchent pas de tirer profit de l’aventure qui se présente devant nous : à ce moment-là, les clés de la résolution d’un problème ne sont pas enfouies dans le passé, elles sont dans la façon dont nous percevons notre réalité et dans notre façon de réagir aujourd’hui.
Voir la réalité autrement pour changer
Bien que les cultures en Asie soient à la fois passionnantes et lointaines, très influencées au Japon, en Chine, en Inde par les philosophies bouddhiste, taoïste ou shintoistes, par les religions aussi, nous pouvons dire que dans ces pays ils ont aussi les mêmes préoccupations existentielles que nous. Les problèmes de couple, familiaux, financiers, la pression scolaires, des études et au travail, et les crises personnelles confrontées au rôle dominant et conformiste de la société sont des défis quotidiens.
En fait, de quoi parlons-nous ? Du changement de contexte que nous apprenons à gérer et auquel nous nous adaptons continuellement au cours de notre nouvelle vie à l’étranger ou avec l’étranger avec lequel nous vivons ! Et nous le savons tous, changer n’est pas naturel et c’est la raison pour laquelle nous commençons tous en général par résister, surtout quand le changement est imposé. Cette résistance au changement ne provient pas de soi personnellement (intrinsèquement) mais du contexte de la relation et de la nature des interactions dans son environnement. Et les problèmes commencent quand on voit le changement comme un but à atteindre et non comme un processus.
Quand on change de contexte de vie, on est rarement à l’abri de l’émergence de nouveaux conflits ou d’obstacles et le principal se trouve souvent, étonnamment, en nous- mêmes et dans la façon dont nous percevons la réalité. Or il n’y a jamais une réalité mais des réalités, celles de notre vie (ne sommes-nous pas ce que nous avons appris ?) que nous mettons à l’épreuve lors de notre expatriation. C’est notre manière d’interpréter les faits qui leur donne un caractère facilitant ou limitant pour sortir d’une situation qui pose problème. Nous vivons dans le monde tel que nous nous le représentons et c’est le regard que nous portons sur la situation ou sur l’autre qui va conditionner nos réponses pour engager un changement et trouver des solutions aux problèmes que nous rencontrons. Et quand le regard que l’on porte sur l’autre (ou sur soi) change, de nouvelles interactions en découlent et c’est un immense champ des possibles qui s’ouvre à nous. Produire et réussir un changement passe donc par changer notre regard, nos représentations et finalement ce sont moins les situations qui posent problème que les interprétations que nous en donnons.